Chronique 25-10, semaine du 5 au 11 avril 2025

Les Unes

Cinq auteurs face à Trump en une du Monde des livres. Ou plutôt cinq réactions face aux sentiments que leur inspire Trump. Et les réactions offrent un panel de ce qui arrive quand un être humain, fût-il auteur, éprouve un choc traumatique. Parmi eux, des « natives », Colum Mc Cann, désemparé, qui ne parvient pas à analyser la situation pour le moment ; Siri Hustvedt qui s’intéresse à des problèmes d’écrivains, comme les mots à bannir dans les médias par l’administration Trump : « noir, divers, gay, femme », on croit rêver. Quant à Dave Eggers, il se révèle combattif et plein de bon sens : « Les électeurs de Trump forment une étrange coalition, mais ils ont tous un point commun : ils votent assurément contre leurs propres intérêts. » Le déroulement du texte est limpide, implacable, convaincant. Les voix étrangères sont celles de Mircea Cărtărescu, plus complexe, texte d’écrivain moins tranchant et Artem Chapeye, écrivain, journaliste et soldat qui évoque l’humour, noir, des combattants et des peuples opprimés : sa référence ? Un film des frères Coen dans lequel un condamné se tourne vers son voisin en larmes à qui l’on vient de passer la corde au cou et lui demande : « Première fois ? ». Cela dit-il en référence à la situation des Européens.

Quant à elle, elle pleure continuellement depuis l’élection de Trump. Qui ? Attica Locke, autrice de polar qui s’en est pris à Donald bien avant sa candidature, elle pointe les causes de la dérive des USA, il n’y a plus d’éducation civique dans les écoles, et du côté psychologique c’est l’effet stress dit « polygonal », « le stress ou la peur peuvent nous déconnecter de nos émotions et de notre raison ». Du même coup son polar, dernier d’une voit le départ de son héros pour une autre vie, elle va écrire autre chose. De cette expérience elle tire quelques évidences « dégainer une arme à chaque occasion ne peut pas être une réponse (…) le polar permet de montrer que ce n’est pas en tuant que vous allez combler un manque ou réparer une injustice. » Pas faux.

François Sureau se lance à son tour dans le feuilleton policier, héros récurrent nommé Thomas More. Il est ici commissaire impérial, confronté à des meurtres en pleine défaite de Sedan : « On patauge parfois, aussi bien dans l’enquête que sur le terrain détrempé de la défaite. François Sureau suggère, brosse le décor, croise les destins des deux corps » révèle Christophe Henning de Livres et Idées. Deux corps, virg+esp un enfant et une jeune femme, mais surtout un jeu avec la déduction et l’Histoire puisque ce détective nous le retrouverons en 1940 et en…1989.

« C’est le cinéma qui les réveille » nous dit François Rivière en une du Figaro littéraire ; Boileau-Narcejac, tombés dans l’oubli mais déjà salués par la une du Monde des livres la semaine dernière ; le Quarto qui leur est consacré est orienté sur leurs liens avec le cinéma « mais aussi la pratique de la fiction policière nous les rappelle à notre bon souvenir ». Le dossier est complété par un article de Bruno Corty sur les écrivains à quatre mains, partenaires, couples ou cousins, Fruttero et Lucentini, Marie et Joseph, Sjöwall et Wallhöö ou bien encore Ellery Queen.

Dans l’Humanité cette semaine pas de une sur un auteur pour son Cahier Le Rendez-vous des livres mais une tribune sur l’intelligence artificielle : elle menace aussi bien les secrétaires de rédaction que les traducteurs nous dit-on, ceux-ci seraient réduits au rôle de supplétifs de la machine. Mais le plus important constitue la une du journal et se trouve développé en pages 2 et 3, avec une interrogation sur les rapports de plus en plus évidents entre l’extrême droite et la volonté de conquête de l’édition. Virginie Despentes souligne que si elle reste chez Fayard, c’est que pour l’instant elle a toute confiance en son éditeur ; si elle part, elle perd ses droits sur son œuvre déjà éditée. Elle évoque également l’autocensure qui s’installe chez l’artiste en le privant de ses moyens, de ses propres ressources et qui, en outre, ne vient pas du seul Bolloré mais également des réseaux sociaux. Elle conseille la lecture de Quinn Slobodian et son Capitalisme de l’apocalypse (Seuil) et la lecture en général : « se protéger des réseaux sociaux et des médias qui leur appartiennent et surtout se nourrir d’autres choses. Par exemple, oui, lire peut devenir un geste de préservation et de lutte contre l’autocensure. » C’est une bonne conclusion.

Dans le pêle-mêle

Si elle ne bénéficie pas directement d’une première page, Marie Ndiaye est saluée par l’ensemble de la critique pour son nouveau livre consacré à la figure de son père. Tout le monde souligne le jeu habile qu’elle mène avec l’histoire de sa propre famille, tout en cherchant une vérité autobiographique qui dépasse la dimension factuelle. Dans cette collection « Traits et portraits » du Mercure de France, il n’est pas interdit de jouer avec les faits pour faire œuvre littéraire. Les quatre parties de son récit sont autant de variations sur la figure du père, dont le prénom, Denis cache, lui aussi, plusieurs identités. Ça continue pour Ann Patchett qui impose son été à soi, un été de confinement qui sonne cependant comme un livre du bonheur sans se rattacher au genre du feel good book. On y trouve une cerisaie, une ancienne actrice dont les filles, adultes, « réclament à leur mère le récit de son amour de jeunesse avec un acteur célèbre », nous dit Nathalie Lacube du LibéJ. Jean Rolin est dans le RVDL avec son roman consacré aux chemins de passage dans les Pyrénées pendant la guerre et à ceux qui les empruntèrent ; anonymes et célébrités qui remirent leur destin entre les mains de passeurs, courageux et humaniste dans leur majorité.

Une semaine riche en découvertes littéraires donc. À la prochaine quinzaine.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)

Semaine du 5 au 11 avril 2025