Chronique 25-8 – du 8 au 21 mars 2025

Les Unes

Avec Jacques Rancière, on est servi : « Les gens ne sont pas asservis parce qu’ils ne comprennent pas le système ; ils le sont d’autant plus qu’ils comprennent son fonctionnement. » C’est le centre de la réflexion qu’il développe à partir de sa lecture des nouvelles de Tchekhov. Toutes proposent le choix entre la servitude et la liberté, la honte d’un côté, la peur de l’autre. Dans l’entretien qu’il accorde à Pierre-Henri Lab, il développe la thèse centrale de son livre : « On se sent indigne et incapable de changer. C’est un peu le monde où nous vivons aujourd’hui, où on ne cesse de nous dire que notre sécurité est menacée et où nous avons honte d’être gouvernés par des gens méprisables. » Conclusion, l’attitude révolutionnaire n’est absolument pas naturelle.

Double une en quelque sorte pour Le Monde des livres, les animaux marins et la poésie. La mer et ses créatures forment le centre du texte de l’anthropologue Fabien Clouette. En partant de la vie d’un phoque baptisé « You » et de ses rapports avec les humains, l’anthropologue s’interroge sur les interactions humains/animaux et leurs effets des deux côtés. Séparé par nécessité des humains, le phoque est retrouvé quatre ans plus tard, au milieu des siens, mais dès qu’il entre en contact avec un humain il reprend immédiatement les jeux de sa jeunesse nous rapporte Florent Georgesco dans sa recension : « un phoque est capable d’inventer des comportements en dehors du répertoire traditionnel qu’on lui a prêté », rien ne dit que « tous les phoques n’ont pas cette capacité, que tous les animaux », loin de notre regard, ne sont pas des animaux singuliers. » Conclusion inévitable de l’auteur « On sait si peu ».

La seconde actualité est celle que dessine le dossier en pages 2 et 3 consacré à la vitalité de la poésie en vers libres aujourd’hui et l’article d’Amaury da Cunha célèbre l’émergence d’une poésie qui se dégage de la dictature du fragment, « les jeunes poètes sont désireux de sortir de « l’exigence fragmentaire » » pour donner davantage de souffle et d’épaisseur à leurs aventures textuelles. Citant Martin Rueff, poète et traducteur, le critique met en avant la plasticité du langage ainsi utilisé qui permet à la fois de raconter quelque chose tout en répartissant les mots comme on veut dans l’esprit et sur la page. Il y a des résistances côté poètes contre cette « poésie à la découpe ». De l’autre côté on loue la liberté de ce genre qui va du récit de la vie quotidienne dans ce qu’elle a de plus prosaïque jusqu’à la poésie-reportage de l’Américain Frank Smith. Dès lors ce genre s’oriente vers une réinvention du langage.

Les auteurs internationaux apparaissent encore en une cette semaine avec Ivy Pochoda qui ouvre le dossier consacré aux nouvelles autrices de polar et, partant, à la féminisation de ce genre dans le LibéS du 8 mars. Une nouveauté, révèle l’autrice américaine dans l’entretien qu’elle accorde à Sabrina Champenois, c’est la présence d’héroïnes violentes hors d’un contexte de violence d’abord subie ; dans ce cas, viol, maltraitance donc vengeance « ce n’est pas grave. Mais si elles sont violentes parce que c’est quelque chose d’interne en elles et que ce n’est pas de la vengeance, c’est insupportable. » Elle écrit donc un western dont les protagonistes centrales, Dios et Florida, sont violentes pour de vrai. On aurait dit autrefois, mauvaises.

Yan Lianke est un auteur chinois qui passe parfois la censure en écrivant cependant des livres qu’on pourrait juger « tendancieux » ; comme celui qu’il consacre à un couple interdit qui se cache pour ses rendez-vous amoureux. Le nom des héros Gao Tsé-toung et Rouge Mei est assez savoureux comme l’est la justification de leurs relations à coup de citations du Petit Livre rouge. Nous sommes à l’époque de la Révolution culturelle et les amants s’arrangent pour se voir dans un tunnel reliant leurs maisons avec chambre souterraine pour leurs ébats. L’auteur ne se limite pas à la culture chinoise s’il faut en croire Nils C. Ahl en une du Monde des livres : « La rencontre quasi onirique des deux amants le long d’une voie de chemin de fer, dans une sorte de réécriture légère et dégradée, pornographique et fantastique, de la rencontre d’Anna Karénine et du comte Vronski est exemplaire. »

Enfin, le Rendez-vous des livres donne la parole après Libération à Dror Mishani qui s’apprête à rentrer en Israël malgré le danger que cela représente ; un pays dans lequel « On ne veut pas savoir ce qui se passe à Gaza. On s’en fout. On ne nous a même pas annoncé que l’invasion terrestre avait commencé. » Il reste persuadé que l’influence américaine est tragique : « Nombreux sont ceux qui sont persuadés qu’un pays sans Palestiniens est possible. J’ai peur que le pire soit devant nous. Si transférer des millions de Palestiniens devient chose légitime, alors qui nous dit que d’ici vingt ans, sous un autre gouvernement américain, ne se posera pas la question du transfert de millions de Juifs… » On ne peut pas lui donner tort.

Dans le pêle-mêle des unes

Les auteurs de la quinzaine sont Marie Redonnet qui revient en une (L&I) après avoir fait des débuts remarqués dans les années 80 chez Minuit. Elle évoque un village miné par des querelles anciennes ; son récit « aux allures de conte, nous dit Christophe Henning, brosse la fresque immuable d’une humanité toujours renvoyée à ses vieux démons. » Samy Langeraert veut, pour sa part s’incarner en merle humain, Thomas Stélandre nous fait son portrait : « Encore plus que ces précédents livres, Le Chant du merle humain parle du fait d’écrire, une activité dont il aime lui-même entendre parler avec précision, les détails, les outils. » (LibéS) Quant à Christine Angot, elle ne fait rien comme personne, elle accepte de participer à la collection Ma nuit au musée (pour faire plaisir à sa fille) et puis finalement quitte bien avant l’aube la Collection Pinault.

Des livres à découvrir donc et à très bientôt.

Index des articles parus dans la presse du 8 au 14 mars (cliquer pour télécharger)

Index des articles parus dans la presse du 15 au 21 mars (cliquer pour télécharger)

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